2008 Photos « Chacun chez soi »

 

Portraits:

 -Que relie ces personnes ?

-Leurs origines. Non!

-Leurs passions. Non!

-Leurs convictions, peut-être!

-Leurs regards, sûrement.

 

Chacun dans leurs espaces à eux.

-Poser.

-Attendre.

-Improviser.

-Surprise.

 

-Poser pour poser.

-Poser pour un portrait.

-Poser pour l’ artiste.

-Poser pour l’ amitié.

 

-Amitié pour certains.

-Nouvelle rencontre pour d’ autre.

-Rencontre discrète,

                                                         – Brève.

2006 Monastères Industriels

Monastères industriels

 

Le décor est celui de la Méditerranée: des pinèdes, des rochers … et des ruines, pour ajouter une touche d’histoire à un paysage qui risquerait autrement de passer pour une publicité de village de vacances au bord de la mer. Depuis la Renaissance et le livre Le songe de Poliphile (1499) de Francesco Colonna, les ruines signalent au lecteur – ou au spectateur d’un tableau – qu’il est en présence d’un paysage “noble”, témoignant de la grandeur du passé et invitant à la méditation nostalgique. José Albiol a décidé d’introduire son sujet sur ce mode, connu sous le nom de “poétique des ruines”. Il commence par nous entraîner dans une promenade classique, d’une ruine qui ressemble à celle d’un monastère à une autre, parfaitement semblable. Ses vues sont on ne peut plus bucoliques et on ne soupçonnerait jamais qu’elles recèlent des vestiges industriels récents (les plus anciens datent du 19e siècle).

Et pourtant ! Nous sommes dans la région de l’Iglesiente, en Sardaigne, dans un bassin minier où l’on exploite le plomb depuis l’Antiquité. Depuis un peu plus de cent cinquante ans, avec la révolution industrielle, le mouvement s’est précipité et, comme ailleurs, le paysage a subi des transformations radicales, dramatiques – des transformations que les artistes ont longtemps considéré comme indignes d’être représentées, ce qui explique pourquoi l’industrie est restée “hors culture” pendant près d’un siècle. Le projet de José Albiol tient-il compte de cet héritage négatif ? Les ruines permettent en tout cas au photographe d’évoquer la sombre réalité d’une exploitation violente de la nature – la mine – sous une apparence séduisante et familière, telle qu’on la connaît dans notre culture depuis Colonna. Elles présentent en outre l’avantage d’être des constructions qui s’intègrent de manière harmonieuse dans l’environnement – tout le contraire de l’image que l’on a du choc frontal entre la civilisation industrielle et la nature.

Un autre facteur explique peut-être encore la forte présence de ruines dans les photographies de José Albiol. C’est un fait étrange si l’on songe au caractère récent de la société industrielle mais, la plupart du temps, il reste peu de traces des bouleversements spectaculaires et brutaux qui ont caractérisé l’avènement de cette dernière, et en particulier de la violence infligée au paysage par le monde de l’usine. Si vous visitez le Creusot, en Bourgogne, vous chercherez désespérément une cheminée de brique dans ce haut lieu de la sidérurgie française, alors qu’il s’en dressait des dizaines en 1900. Elles ont toutes été démolies, dans le refoulement d’une histoire dont on ne veut garder aucun souvenir. Le visiteur devra se pencher sur le sol et produire un gros effort d’imagination et de reconstitution pour se faire une idée de l’incroyable essor de cette ville. C’est ce qu’il y a de pathétique dans l’histoire de la révolution industrielle et c’est ce que montre José Albiol. Les signes visuels qui subsistent ne sont souvent que des ruines, à l’image de ceux de l’Antiquité ou du Moyen Age.

Certes, cela est surtout valable pour les centres de production dont José Albiol montre la décrépitude – sans trop s’y attarder néanmoins, comme cela arrive parfois dans un genre de photographie inspiré par l’archéologie industrielle. Après donc une promenade pleine de charme dans les collines boisées de l’Iglesiente – un paysage “ennobli” par l’introduction de ruines – après un détour obligé par de sombres halles désaffectées, avec leurs machines à l’abandon, il nous invite à affiner notre perception de l’épopée industrielle. C’est dans Montevecchio, capitale économique de l’Iglesiente, qu’il confronte pour nous les usines en ruine à la civilisation qui s’était développée sur elles. Dans la propriété de Giovanni Sanna, qui fait penser au château des Schneider au Creusot, en plus modeste bien sûr, on découvre ce que fut sans doute l’intérieur raffiné du principal exploitant du bassin minier, dans la seconde moitié du 19e siècle. Dans les rues, José Albiol isole les maisons les plus représentatives, avec un regard qui rappelle celui que Walker Evans portait sur l’architecture utilitaire, sans qualité. Rien ne distingue vraiment ces maisons, qui ne sont ni anciennes ni neuves. De plus, il est difficile d’y déceler la marque uniforme d’un style régional. C’est au contraire une certaine diversité qui retient l’attention, témoin du désordre qui a accompagné le développement du capitalisme dans sa phase d’accumulation primitive et du brassage d’influences qui s’est généralisé par la suite.

 

Jean-Christophe Blaser

Conservateur adjoint, Musée de l’Elysée, Lausanne